Goldman Sachs ou l’éternel retour
Passé de la faillite aux profits record en moins d’un an, ce symbole du capitalisme financier démontre d’abord la capacité des entreprises américaines à rebondir. Il est aussi un bel exemple de l’importance des cycles dans le capitalisme. Des pans entiers de l’économie en ont une grande habitude : l’immobilier ou l’hôtellerie par exemple. Mais ce retour rapide aux profits permet aussi de relativiser les grands discours de l’automne sur la moralisation du capitalisme. Le capitalisme n’a pas besoin de se refonder, il se régénère de lui-même : le temps cyclique des grecs serait-il aussi celui de Goldman Sachs ?
Le temps cyclique des grecs
L’idée d’un temps cyclique est une vieille idée. Les astronomes babyloniens avaient déjà remarqué le cycle régulier des planètes ou des éclipses solaires, et en avaient déduit une conception d’un temps où passé, présent et futur ne sont que des facettes différentes d’une même réalité : le temps cyclique.
Les grecs, et notamment les stoïciens, ont repris cette idée d’un temps éternellement recommencé. Ils se représentent le monde comme un ensemble clos, fini, qui est stable et n’évolue pas. En conséquence, ils ont une conception cyclique du temps, qui devient une succession d’instants qui s’organise en cercle. Tôt ou tard, les mêmes événements vont revenir. Le futur n’est donc pas ce qui va advenir mais ce qui est déjà advenu et qui revient. De même, le passé n’est pas seulement ce qui est déjà advenu mais également ce qui va ré-advenir. Bref, ce qui n’est pas encore accompli est en fait déjà accompli, mais dans un autre cycle : c’est l’éternel retour. Comme le dit Marc-Aurèle, dans une formule célèbre : « Toutes les choses sont éternellement semblables et recommençantes » (1)
Temps cyclique ou temps linéaire ?
Traditionnellement, le temps cyclique s’oppose au temps linéaire. Le temps linéaire, c’est celui de la physique moderne, pour laquelle le monde est ouvert et infini. Le temps passe mais ne revient jamais sur lui-même. Le passé ne repasse jamais. Et le futur n’est pas connaissable à l’avance. Le temps est irréversible et ce qui a été, par définition, ne sera jamais plus. Dans le temps cyclique, l’identité (le retour du même) est le principe de l’existence temporelle. Au contraire, dans le temps linéaire, c’est le changement et non l’identité qui est le principe de l’existence temporelle. Dans le temps cyclique, l’éternel retour d’instants semblables fait sens, mais dans le temps linéaire, cette hypothèse n’a plus de sens. Si le temps cyclique est représenté par un cercle, le temps linéaire est symbolisé le mieux par un vecteur orienté.
Temps linéaire et progrès
Le temps cyclique n’incite pas à l’action. Il est par construction conservateur. A quoi bon agir puisque l’instant même est susceptible de revenir ? Seul le temps linéaire favorise l’action et son corollaire : la liberté. Comme
Ces deux conceptions du temps ne sont pas anodines, notamment par rapport à la notion de progrès.
Le temps cyclique de Goldmann Sachs contre l’idée de progrès ?
La banque américaine Goldman Sachs, en quasi faillite il y a un an, et qui a bénéficié d’aides directes du Trésor américain à hauteur de 10 milliards de dollars, vient de renouer avec les bénéfices : elle vient d’annoncer un résultat net de 3,4 milliards de dollars pour le deuxième trimestre 2009 ! La renaissance de Goldmann Sachs, c’est l’exemple d’un temps cyclique. Le retour des profits, c’est le retour du même. Les profits : comme avant. Les règles des bonus des dirigeants : comme avant. La morale du capitalisme : comme avant. Les impératifs de rentabilité des investissements (2) : comme avant.
Goldman Sachs nous rappelle ce passage de l’Ecclésiaste : « Ce qui a été, c’est ce qui sera ; et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera ; et ainsi il n’y a rien de nouveau sous le soleil. » (3)
Oubliés les discours gauchisants de notre président, oubliés les appels de la plupart de nos députés sur la nécessaire moralisation des règles financières, oubliés les appels, main sur le cœur, à la refondation du capitalisme.
Certains dirigeants (et même les consommateurs que nous sommes tous !) ne veulent ni se remettre en question, ni remettre en question leurs principes, leurs habitudes. Le statu quo est plus fort, plus facile à suivre, que la recherche d’un nouveau chemin, par définition inconnu. On remplace alors le changement par le discours sur le changement, le progrès par l’incantation, les actes par la simple rhétorique.
Le capitalisme n’a pas besoin de se refonder, et encore moins de se moraliser (4). Le capitalisme se ressource lui-même. Sans personne. Mais toujours avec profit.
Si vous cherchez quelque chose de nouveau sous le soleil, ne cherchez pas dans le capitalisme. En dépit de nombreux oracles prédisant un nouveau monde, il n’est pas certain qu’il y aura quelque chose de nouveau sous le soleil capitaliste. Autant le savoir avant. Sinon on risque d’être déçu et de dire, à l’instar du perroquet de M. Balthazar dans l’Oreille cassée: « caramba, encore raté » !
Vincent Toche
Never be Lost In Management !
(1) Marc-Aurèle, empereur-philosophe, du IIème siècle après JC
(2) Ne dit-on pas « retour sur investissements », ou ROCE pour « return on capital employed » ? Est-ce juste une coïncidence ?
(3) Ecclésiaste, 1-9
(4) Sur capitalisme et morale, lire les analyses pertinentes d’André Comte-Sponville dans « le capitalisme est-il moral ?», Albin Michel, 2004